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Dal quotidiano francese “Le Figaro” :Émeutes dans les cités : la police au défi de la contagion

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Émeutes dans les cités : la police au défi de la contagion
Après la mort de Nahel à Nanterre, l’exécutif déploie 2 000 hommes et appelle au calme.
Christophe Cornevin @ccornevin et Jean-marc LECLERC @leclercjm · 29 Giu 2023

Rendezvous ce jeudi à la préfecture de Nanterre, à 14 heures, marche blanche, venez tous, c’est une révolte pour mon fils (…) Justice pour Nahel » LA MÈRE DU JEUNE HOMME TUÉ À NANTERRE, DANS UNE VIDÉO POSTÉE MERCREDI SUR TIKTOK Je souhaite que notre exigence absolue de vérité permette à l’apaisement de l’emporter sur la colère (…) L’intervention n’était manifestement pas conforme aux règles» ÉLISABETH BORNE, PREMIÈRE MINISTRE Cela faisait trop longtemps que les banlieues étaient calmes. Les derniers week-ends et même la Fête de la musique n’avaient pas donné lieu à des incidents notables. Mais, telle une allumette sur un bidon d’essence, l’affaire de Nanterre a offert un excellent motif aux casseurs de passer l’action» à un haut responsable policier
La mort du jeune Nahel, tué par un policier après un refus d’obtempérer, a déclenché une vague de violences urbaines que les forces de l’ordre tentent de contenir.
TOUT FAIRE pour éviter le scénario tant redouté de l’embrasement dans les banlieues de France. Depuis la mort de Nahel, tué mardi matin à l’âge de 17 ans par une balle policière lors d’un refus d’obtempérer à Nanterre, les autorités scrutent avec anxiété le chaudron des cités. Le bouillonnement est déjà bien présent. Pas moins de 1200 hommes ont été mobilisés jusqu’à mercredi 3 heures du matin avant de rétablir l’ordre à Nanterre.
Dans le même temps, les ferments de la colère ont enflammé plusieurs quartiers d’île-de-france, où la stratégie de reconquête républicaine voulue par Emmanuel Macron depuis 2017 tarde à porter ses fruits. Alors que la mairie annexe de Mantes-la-jolie a été incendiée par des cocktails molotov, des bandes encagoulées ont mené des raids sporadiques contre les forces de l’ordre et des bâtiments publics à Asnières, Colombes ou encore à Clichy-sous-bois. Paris n’a pas été épargné, avec des feux et des jets de projectiles enregistrés dans les 20e et 15e arrondissements. Les risques de contagion sont pris très au sérieux par les analystes du ministère de l’intérieur.
Selon un bilan porté à la connaissance du Figaro, les policiers ont été ciblés dans une quinzaine de départements, les patrouilles essuyant des jets de projectiles notamment à Hem (Nord), à Mulhouse (Hautrhin), Dijon (Côte-d’or) ou encore à Bordeaux (Gironde). En zone gendarmerie, des patrouilles ont été prises à partie dans le Val-d’oise et des incendies volontaires ont éclaté dans l’eure. Dans la seule Îlede-france, où 75 véhicules ainsi que 243 poubelles ont été brûlés, 29 émeutiers ont été interpellés.
« Cela faisait trop longtemps que les banlieues étaient calmes, grimace un haut responsable policier. Les derniers week-ends et même la Fête de la musique n’avaient pas donné lieu à des incidents notables. Mais, telle une allumette sur un bidon d’essence, l’affaire de Nanterre a offert un excellent motif aux casseurs de passer à l’action. » Le schéma de ces émeutes est classique. «Il se fonde, depuis trente ans, sur d’intangibles ressorts, décrypte le criminologue Alain Bauer. Au départ, souvent, une intervention de la police qui tourne mal après un coup de feu, puis le coma ou la mort d’un jeune des cités. Ensuite, une suspicion de bavure qui engendre un sentiment d’injustice. Ce dernier nourrit alors une réaction de vengeance et de révolte. D’expérience, les violences urbaines durent en moyenne deux jours et trois nuits. C’est le quantum habituel sachant que les fêtes musulmanes de l’aïd arrivent et peuvent avoir un effet sur le tempo des événements. »
Plutôt que de se livrer à de fratricides batailles rangées entre voyous de cités voisines, les casseurs de toutes les origines se liguent et font corps pour affronter un ennemi commun clairement identifié : les représentants de l’état. «La police est alors considérée comme une bande rivale et non plus comme la garante de l’ordre républicain », résume le professeur Bauer. Quand cette alchimie du chaos prend une forme aboutie, la France, sur fond de ghettoïsation et paupérisation, devient le théâtre d’une inexorable poussée de fièvre dont les émeutes de l’automne 2005 ont été le paroxysme.
Apaiser les esprits
Après la mort, le 27 octobre 2005 à Clichy-sous-bois, de deux adolescents, Zyed Benna et Bouna Traoré, pourchassés par la police et électrocutés dans un transformateur où ils s’étaient réfugiés, et l’envoi, trois jours plus tard, d’une grenade lacrymogène à l’entrée de la mosquée Bilal par des forces de l’ordre victimes de tirs de projectiles, le pays avait été secoué par trois semaines d’émeutes. L’épisode, dantesque, s’était soldé par 2 911 interpellations et plus de 9000 incendies de voitures. « Ce drame de Nanterre, qui intervient à la fin de l’année scolaire et au début des vacances où les gamins vont rester cantonnés dans leur cité, fait craindre l’hypothèse du pire », souffle un préfet.
Face à l’avis de tempête, l’exécutif tente d’enrayer la spirale des violences urbaines. Depuis Marseille, Emmanuel Macron exhorte au «calme partout parce que nous n’avons pas besoin d’avoir un embrasement ». Faisant part de « l’émotion de la nation tout entière » et de « toute notre solidarité », le chef de l’état a ajouté : « Nous avons un adolescent qui a été tué, c’est inexplicable, inexcusable.» Dans un même souci d’apaisement, Gérald Darmanin a quant à lui appelé à la « vérité » sur les circonstances de la mort de Nahel et exprimé une « pensée extrêmement forte pour la famille qui a perdu un enfant ». Mais tous les deux savent déjà que les mots ne suffiront pas à apaiser les esprits. Après avoir annulé ses déplacements de mercredi au congrès des sapeurs-pompiers à Aix-enprovence et de jeudi à Toulouse, le ministre de l’intérieur a déclenché une «réunion de sécurité» en visioconférence avec les préfets. Pendant une vingtaine de minutes, il a appelé ses troupes à la « modération » et à ne pas céder aux « provocations » sur le terrain où fleurissent des tags hostiles aux forces de l’ordre. Selon nos informations, le ministre redoute, sur fond de haine de la police, une convergence des luttes entre les cités et les collectifs d’ultragauche, notamment issus des Soulèvements de la Terre, qui vont surfer sur l’événement. Sur les réseaux sociaux, les appels à la « Justice pour Nahel » se multiplient, tout comme le jeu de mots « On Nanterre pas cette affaire ».
Sans attendre, l’hôte de Beauvau a décidé de mettre un cataplasme bleu sur les cités en annonçant le déploiement de 2000 policiers et gendarmes, essentiellement en Île-defrance, pour la nuit de mercredi à jeudi. À l’approche d’une fin de semaine sous tension, les états-majors policiers sont sur le qui-vive. Dans les synthèses de la première nuit d’émeutes, ils notent que 799 moyens collectifs de défense ont été utilisés par les unités, partout en France. Un niveau exceptionnel. Il évoque, à certains égards, le précédent des émeutes de Villiers-le-bel en 2007. Elles se soldèrent par quinze jours d’échauffourées à la suite de la mort de deux jeunes montés sur un moto-cross percutés par une voiture de police. Bilan à l’époque : 119 policiers blessés, dont 81 par des tirs de chevrotine et 5 plus grièvement atteints par du gros calibre. Deux ans après les émeutes de 2005, ce choc amena Beauvau à revoir l’organisation et les équipements de ses troupes, désormais harnachées, casquées et systématiquement munies de gilets pare-balles en intervention dans les zones sensibles. Sans parler de la dotation en armes non létales, pistolets à impulsions électriques et autres lanceurs de balles de défense pour tenir à distance les assaillants.
Situation inflammable
Partout dans les départements, depuis la tragique affaire de Nanterre, les préfets prennent le pouls de la situation, en contact avec les élus locaux qui ne veulent plus voir dans leur ville des bâtiments publics et des biens privés partir en fumée. Les travailleurs sociaux et les réseaux de « grands frères » sont activés pour tenter de ramener le calme. Mais un chef de circonscription de police du nord de la France le dit : « Certains messages surfant sur l’émotion n’y aident guère.» « J’ai mal à ma France. Une situation inacceptable. Toutes mes pensées vont pour la famille et les proches de Nahel, ce petit ange parti beaucoup trop tôt », a publié sur le réseau social Twitter, le footballeur Kylian Mbappé, dès mardi matin. Bientôt relayé par l’acteur Omar Sy.
Policiers, gendarmes et pompiers se préparent à une séquence délicate. Le secrétaire national du
Syndicat indépendant des commissaires de police (SICP), Jean-paul Mégret, met en garde, de son côté : « Deux mille effectifs des forces de l’ordre sur le terrain en région parisienne, cela peut tenir ponctuellement, durant quelques jours, mais il ne faudrait pas que la contagion gagne, car les capacités en fonctionnaires et en militaires pour faire face ne sont pas extensibles à l’infini.» Les émeutes de 2005 avaient montré les limites opérationnelles des unités civiles de sécurité. «Les quartiers les plus en pointe dans la contestation figurent parmi ceux où l’action policière est la plus résolue contre le trafic de drogue, et ce n’est pas une coïncidence », rappelle le commissaire Mégret. Selon lui, vu les tensions actuelles, «il faut arrêter de rêver en imaginant des agents de police jouer les percepteurs dans les quartiers chauds avec un TPE à la main pour verbaliser les fumeurs de cannabis ». « On fait toujours endosser au policier le mauvais rôle », déplore-t-il. À l’entendre, la théorie de la « désescalade » mise en avant par le préfet de police de Paris, Laurent Nuñez, lors du mouvement contre les retraites, pourrait bien trouver, avec les banlieues, un nouveau champ d’application. Mais la situation est des plus inflammables. L’extrême gauche dénonce, par la voix de Jean-luc Mélenchon, une « police incontrôlée par le pouvoir ». Les services de renseignements s’activent pour repérer sur les réseaux les collectifs qui appellent à des manifestations contre les « violences policières ».
Les agents qui espéraient pouvoir profiter de leurs congés avant la grande mobilisation sécuritaire pour les JO de 2024 se préparent à quelque déconvenue. Pour Frédéric Péchenard, vice-président LR de la région Île-de-france et ancien directeur général de la police nationale, «si le maintien de l’ordre s’est renforcé dans la police, avec la création de quatre nouvelles unités, la sécurité publique, chargée de la police du quotidien, a perdu beaucoup de monde ces dernières années, ce qui n’est pas un bon signe ». La Cour des comptes a pu quantifier le phénomène. Les magistrats révèlent que « selon l’institution, les chiffres des départs de la police et de la gendarmerie en 2022 sont supérieurs à ceux de 2021, qui marquaient pourtant un record. En 2022, la police a connu 10840 départs (soit 33% de plus en quatre ans) et la gendarmerie 15078 (+25% sur la même période) ». Des démissions en cascade, malgré les plans de recrutement des années Macron, une ambiance morose, mais aussi une capacité à resserrer les rangs en période de crise. Le ministre de l’intérieur sait pouvoir compter sur ses troupes quand la tempête s’annonce. Nous y sommes.